Paludisme : le début de la fin

Cet engagement est la reconnaissance du travail mené ces dernières années par les professionnels du territoire, qui s’est traduit par la division par dix en dix ans du nombre de cas. De nombreux chantiers sont encore à mener pour atteindre l’objectif d’aucune transmission autochtone dans les prochaines années.

« C’est un grand jour aujourd’hui, car, on peut se le dire, à partir d’aujourd’hui pour le palu c’est « le début de la fin !» » C’est ainsi que Clara de Bort, directrice générale de l’ARS, a lancé vendredi les travaux visant à éliminer totalement le paludisme en Guyane à l’horizon 2025. Un objectif atteignable : les cas ont déjà été diminué par dix ans dix ans, pour s’établir à 100 à 150 par an actuellement. Mais les derniers cas peuvent être les plus difficiles à gagner, c’est donc encore beaucoup de travail qui s’annonce pour atteindre cet objectif.

En 2015, l’Organisation Mondiale de la Santé a lancé sa stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme. Elle se fixe comme objectif l’élimination du paludisme à l’échelle mondiale en 2030. Vingt et un premiers pays se sont engagés à y arriver en 2020, d’autres en 2025. C’est le cas de la France. L’OMS, estimant que la France était en mesure de le faire, l’a sollicitée pour s’engager officiellement dans une stratégie d’élimination du paludisme de Guyane en 2025, comme 24 autres pays et territoires. L’État français a accepté de relever le défi et a confié officiellement cette mission à l’ARS Guyane, en lien avec les acteurs Guyanais. « C’est le fruit et la reconnaissance de votre travail », a souligné Clara de Bort devant plusieurs spécialistes du sujet réunis vendredi.

« Des efforts majeurs ont été consentis ces dernières années pour lutter contre le paludisme en Guyane avec à la clef, une diminution du nombre des cas annuels de paludisme diagnostiqué sur le territoire, a insisté la directrice générale de l’ARS. Ce succès reste fragile car ponctué de rebonds notamment en 2017 et 2018 (…) Cet engagement, majeur pour notre territoire et le plateau des Guyanes, est tout à la fois le fruit et la reconnaissance du travail approfondi et de grande qualité mené ici depuis plusieurs années. Il est aussi l’aboutissement d’un plaidoyer mené de façon particulièrement intensive ces dernières semaines, l’aboutissement du lobbying de l’ARS et du ministère des Solidarités et de la Santé permettant d’avoir une enveloppe dédiée à ce programme ainsi qu’un poste de coordonnateur (…) Vos travaux ont été remarqués, ont su être valorisés et nous avons la confiance des plus hautes autorités en notre capacité à le faire. »

Plusieurs chantiers seront lancés prochainement pour atteindre cet objectif. Ils portent sur la législation (lire ci-dessous), l’offre de soins, le travail avec les pays voisins et la lutte contre l’orpaillage illégal. Cette élimination passera par une recherche active des cas, et pas seulement par l’attente que les malades consultent. Dès lors qu’elle sera atteinte, la France pourra solliciter l’OMS pour obtenir la certification que la Guyane est exempte de paludisme. Il faudra alors aucune transmission locale pendant trois ans. Un objectif réalisable.

Dr Lise Musset, Centre national de référence paludisme : contre le paludisme, « il faut construire des modes d’intervention pérennes »

La dernière épidémie de paludisme remonte à 2017. Que s’était-il passé ?

Il y avait un rebond dans plusieurs pays de la zone. Est-ce que les conditions climatiques étaient favorables au développement des vecteurs ? C’est une question. Cette année-là, plus de la moitié des cas avaient été diagnostiqués dans la région de Saint-Georges. On a décortiqué la séquence de cette épidémie : elle a démarré dans les territoires autochtones d’Acabo-Orange, dans l’Amapá. Les gens ayant de la famille côté français ont bougé. La transmission a commencé à s’emballer à Trois-Palétuviers (village en aval de Saint-Georges) puis a rejoint le bourg de Saint-Georges. Pourquoi cette année-là ? C’est compliqué à dire.

En dix ans, le nombre de cas a été divisé par dix ans Guyane pour atteindre 100 à 150 accès palustres par an. Comment expliquer une telle amélioration ?

Il y a différents facteurs. D’abord le déploiement de molécules et de médicaments à base d’artémisinine. Dans les CDPS, il y a des tests rapides. Cela facilite les diagnostics, malgré les limites de sensibilité. Le Suriname a mené de grosses actions, avec le soutien du Fonds mondial ; ils ont bien moins de cas. Or quand il y a un foyer quelque part, ça traverse la frontière. Enfin, les activités de recherche opérationnelle qui ont été conduites, avec Elimalar et Malakit. En 2015, un orpailleur sur quatre était porteur de parasites. En 2019, il y en avait 3 à 4 %. C’était de la recherche opérationnelle. C’est bien. Maintenant, il faut construire des modes d’intervention pérennes et des pratiques.

Qu’est-ce qui a changé en dix ans, d’un point de vue épidémiologique ?

On a de moins en moins de cas de l’espèce la plus mortelle : Psalmodium falciparum. Ces cas sont le signe des retards de diagnostic et des difficultés de prise en charge. Psalmodium falciparum est un indicateur du système de soins d’un pays. Dès que le système de soins fonctionne bien, la transmission de psalmodium falciparum diminue assez facilement. On a trois à cinq cas recensés par an. On en a autant importés d’Afrique au retour des grandes vacances. Ça ne représente pas un problème parce qu’ils arrivent sur le littoral et sont pris en charge, mais c’est un petit changement épidémiologique.

Qu’est-ce qu’Elimalar ?

A Saint-Georges, ce programme de recherche, financé par les fonds européens, s’est concrétisé avec l’opération Palustop : nous avons testé tout le monde avec PCR, une technique très sensible. Nous pouvions repérer les personnes porteuses de parasites, même non malades. On a systématiquement traité toutes ces personnes-là. Le but était de voir si en les traitant alors qu’elles n’étaient pas malades, cela réduisait la transmission. Nous avons commencé en 2017, quand il y a eu ce pic épidémique. Je pense qu’on a participé au fait qu’on a mieux maîtrisé cette épidémie. Un an plus tard, nous sommes retournés voir les mêmes personnes : 1 300 personnes à Saint-Georges. Moins de la moitié étaient atteintes de paludisme un an après.

Quand on voit les progrès en dix ans, ne suffit-il pas de laisser les choses se faire pour que le paludisme disparaisse de Guyane ?

Je ne pense pas. Au Guyana, où ils ont des difficultés à maintenir un système de soins assez fiable, ils ont rapidement des envolées de chiffres. Au Venezuela, il a suffi que la situation socio-économique se dégrade pour arriver à un million de cas il y a deux ans. Ce n’est pas forcément gagné tout seul. La France a été beaucoup critiquée sur le fait qu’elle ne faisait rien vis-à-vis des orpailleurs, il y a quelques années. Malgré tout, nous avons un système de diagnostic et de soins, avec les CDPS, sans faire appel au Fonds mondial. Maintenant, ce seront des actions en plus : aller chercher les gens, réaliser du dépistage actif.

Il va falloir aller chercher les cas et plus seulement attendre que les malades viennent consulter. Risque-t-on une mauvaise surprise ?

Je ne pense pas. Dans un premier temps, il va falloir aller chercher les cas autour des cas identifiés passivement. Si j’ai une proposition à faire, ce sera celle-ci : dès qu’on voit un cas, dans une zone dont on sait que le paludisme se transmet, on teste autour. Il faudra y aller avec des méthodes puissantes, par PCR. Il faudra rester pragmatique, y aller étape par étape.

Quand un foyer existe, comme actuellement à Régina, est-ce parce que le paludisme circulait à bas bruit ou est-ce un déplacement de l’épidémie ?

C’est toujours difficile à dire. Au Dégrad saramaca, à Kourou, par exemple, nous n’avons plus trop de cas. Là, on sait que c’est lié à la venue d’orpailleurs qui viennent loger là. Il y a des anophèles et des foyers se génèrent. C’est le cas de temps en temps à Sablance (Macouria). Régina, c’est toujours une zone de transmission. Je ne pense pas que cette zone ait jamais été indemne de paludisme jusqu’alors. On ne peut pas dire si c’est parce que le foyer est là ou s’il est réactivé par des mouvements de populations infectées. On a tenté d’établir la carte d’identité génétique des parasites mais on a un brassage de populations et de parasites importants. On n’arrive pas à distinguer génétiquement et géographiquement les parasites : ils sont homogènes à l’ensemble de la Guyane.

Au niveau de la lutte anti-vectorielle, y a-t-il des progrès à faire ?

Il paraît utopique d’éradiquer les moustiques en Guyane. Mais la lutte anti-vectorielle, c’est aussi l’éducation de la population aux mesures de prévention contre les piqûres. Il y a sans doute des choses à renforcer.

Lors de la première réunion de présentation de l’objectif 2025, des freins réglementaires ont été évoqués. Quels sont-ils ?

C’est autour de la primaquine. Contre Psalmodium falciparum, elle est donnée en monodose pour tuer les gamétocytes, qui transmettent la maladie au moustique. Elle peut aussi être donnée deux fois, à 14 jours d’intervalle et à plus forte dose, pour éliminer les formes dormantes de Vivax dans le foie. Mais cette molécule peut être dangereuse chez des personnes qui ont spécificité sanguine, avec une activité assez faible de l’enzyme G6PD. Dans les pays limitrophes, elle est donnée sans vérification. En France, on demande un dosage de l’activité de la G6PD. Si on facilite les moyens pour la donner, on pourra diminuer encore plus drastiquement les cas. Au CNR (centre national de référence), nous sommes en train d’évaluer une machine pour avoir un dosage plus rapidement qu’en envoyant les échantillons en Métropole. Cet essai est financé par l’ARS. Si c’est probant, on demandera à la Haute Autorité de santé de pouvoir faire le dosage enzymatique avec cette machine.

Quels sont les obstacles face à l’objectif de 2025 ?

On a une problématique de résistance aux antipaludiques, sur laquelle nous travaillons et sommes experts au niveau mondial. On travaille avec le Guyana où sont apparus de premiers signes de résistances aux artémisinines. Ici, ça tient, mais le jour où on perd les molécules actuelles... En Guyane, il y a historiquement beaucoup de résistance aux antipaludiques, donc nous n’avons pas beaucoup d’alternatives. La résistance n’est pas fixée mais sur les six molécules possibles, nous n’en avons plus que deux.

Vaccinations

2 460  vaccinations en 7 jours, du 8 au 14 février 2022

40,7 % des Guyanais de plus de 12 ans sont complètement vaccinés

Pour vous faire vacciner, vous pouvez prendre rendez-vous en ligne dans les centres de vaccination de CayenneKourou ou Saint-Laurent du Maroni, ou pour prendre rendez-vous en pharmacie ou chez un médecin de ville : sante.fr

Pour réserver une dose de Novavax : https://arsguyane.limesurvey.net/931584?lang=fr