Un « interrupteur à microbiote » pour mieux comprendre les relations entre moustiques et bactéries

Des bactéries nécessitant des nutriments spécifiques sont capables de coloniser les larves de moustiques et peuvent être ensuite éliminées pour produire des adultes microbiologiquement stériles. Cette méthode, publiée par le groupe « Microbiote des Insectes Vecteurs » de l’Institut Pasteur de la Guyane (Romoli et al, Nature Communications, 2021), ouvre la voie à l’étude approfondie du rôle du microbiote chez le moustique.

Le moustique est souvent décrit comme l'animal le plus mortel de la planète, car divers moustiques transmettent des pathogènes humains. En particulier, Aedes aegypti est le principal vecteur de virus causant de graves épidémies chez l’homme, notamment les virus de la dengue et Zika. En fait, lorsqu'un moustique pique quelqu’un pour se nourrir de sang, il peut également ingérer des virus si cette personne est infectée. La grande majorité des particules virales ainsi absorbées sont éliminées de l'intestin du moustique, notamment par son système immunitaire. Cependant, si une petite proportion échappe à cette barrière et se développe chez le moustique, elle peut être transmise à d’autres individus lors des prochaines piqûres.

Au cours des quinze dernières années, il a été mis en évidence que les microbes qui colonisent le moustique influencent le destin du virus dans l'intestin du moustique. En effet, cette communauté de microorganismes (le microbiote) peut faciliter ou bloquer la multiplication du virus et sa probabilité d'envahir le corps du moustique, et donc d'être transmis.

Les animaux dépourvus de microbiote sont devenus la cheville ouvrière des études sur les interactions hôte-microbiote. Mais leur production est particulièrement difficile dans le cas du moustique, qui requiert un microbiote vivant pour se développer normalement. En effet, si les œufs de moustiques sont stérilisés microbiologiquement, les larves qui éclosent ne sont pas capables de se développer avec leur nourriture habituelle stérilisée. Pour étudier le microbiote du moustique, les témoins stériles ne pouvaient jusqu’à présent être obtenus que par des traitements antibiotiques, qui ne sont pas totalement efficaces, ou par des régimes stérilisés spécifiques, qui ne permettent pas un développement optimal.

A l’Institut Pasteur de la Guyane, Dr Ottavia Romoli et ses collègues de l’équipe « Microbiote des Insectes Vecteurs » ont conçu une nouvelle méthode pour produire des moustiques Aedes aegypti dépourvus de microbiote sans aucun déficit de développement. Cette méthode, décrite dans un article publié le 11 février dans la revue scientifique Nature Communications, repose sur la colonisation de larves de moustiques par des bactéries pendant leur développement et la perte de ces bactéries lors de l’émergence des adultes. Pour cela les auteurs ont utilisé une bactérie génétiquement modifiée (Escherichia coli) qui nécessite deux nutriments spécifiques pour se multiplier. Lorsque ces bactéries sont fournies aux larves de moustiques avec ces deux molécules essentielles, les larves sont colonisées et se développent normalement. Lorsque les nutriments essentiels sont retirés de l'eau d'élevage des larves, la croissance bactérienne est bloquée et les moustiques deviennent stériles.

Les chercheurs ont observé que l'élimination du microbiote du moustique est possible à la fois au stade larvaire et au stade adulte. En « éteignant » le microbiote à la fin du développement, ils ont trouvé que la bactérie génétiquement modifiée permet le développement du moustique aussi efficacement que la bactérie non modifiée, et permet ainsi de produire des adultes sans défaut de fertilité ayant une durée de vie normale. Ils ont également utilisé cet « interrupteur à microbiote » au milieu des stades larvaires pour mieux comprendre pourquoi le microbiote est si important pendant le développement du moustique. Ils ont découvert que les bactéries contribuent au développement larvaire en fournissant des vitamines, notamment de l’acide folique, et en augmentant le stockage d'énergie sous forme de lipides et de protéines.

Les auteurs pensent que cette méthode ouvre la voie à des études novatrices sur l’influence du microbiote sur la vie du moustique, notamment sur les interactions entre microbiote et virus, mais également à des études fonctionnelles du microbiote chez d’autres insectes. Ces travaux ont été réalisés grâce au soutien financier de l’Agence Nationale de la Recherche, via le Labex IBEID et le projet Mosmi.

Figure : Quand des œufs sont stérilisés microbiologiquement, les larves qui éclosent sont bloquées dans leur développement (a). Ici, les auteurs utilisent une bactérie génétiquement modifiée qui nécessite des nutriments particuliers pour sa croissance (b). Quand cette bactérie et ces nutriments sont fournis aux larves, ces dernières se développent normalement. Dès que les nutriments sont retirés de l’environnement, la croissance bactérienne est stoppée et les moustiques perdent rapidement leur microbiote. La colonisation bactérienne peut être arrêtée à diverses étapes du développement afin de produire des larves stériles ou des adultes stériles (c).